Aujourd’hui, il n’y a plus qu’un Monoprix fané au n°53 du boulevard de Clichy à Paris (XVIIIe arrondissement). Autour, une flopée de sex shops, quelques enseignes de restauration rapide et, de l’autre côté de la rue, l’éclat complice du Moulin Rouge… Dans ce décor de grisaille urbaine, la magie de la Belle Époque semble s’être estompée. Mais il suffit de revenir plusieurs décennies en arrière, au début des années 1900, pour prendre le pouls d’une époque où le Tout-Paris, fébrile comme un adolescent, abîmait ses nuits dans les tavernes enfumées et les rumeurs d’ivresse.
L’âge d’or du cabaret
La Belle Époque porte bien son nom: associée à une croissance époustouflante et à de nouveaux acquis sociaux, c’est une ère d’optimisme, d’insouciance et de folies sans conséquences. Récemment mise en lumière par «la fée électricité», Paris en est le cœur battant, la ruche où bourdonnent intellectuels et artistes du temps. La plupart hantent alors la butte Montmartre et particulièrement le boulevard de Clichy, immortalisé dans une célèbre peinture de Vincent van Gogh.
Boulevard de Clichy, huile sur toile peinte par Vincent van Gogh en 1887 et conservée au musée Van-Gogh d’Amsterdam. | Van Gogh Museum via Wikimedia Commons
Sculpteurs, écrivains, danseuses, poètes maudits: tous et toutes se rassemblent dans les bars, les tavernes et les cabarets qui jalonnent l’immense artère du nord de la capitale. On y croise aussi bien des ouvriers que des bourgeois, des bourses légères et des femmes qui le sont tout autant. La société française s’est enrichie, créant un pouvoir d’achat inédit que les moins fortunés s’empressent de dilapider. Ils vont notamment dépenser leurs francs au n°53 du boulevard, où deux cabarets mitoyens marquent le seuil du Ciel et de L’Enfer…
Fondés en 1892, les cabarets Le Ciel et L’Enfer, situés au 53, boulevard de Clichy, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. | Auteur inconnu via Wikimedia Commons
Ouverts dans les années 1890, ces établissements proposent une expérience mystique: la visite, un peu avant l’heure, d’un au-delà de pacotille. Les bonnes âmes entreront au Ciel (surnommé aussi Le Paradis), dont l’architecture est tracée de voûtes élégantes et de dentelle de fer forgé. Les mauvaises opteront pour L’Enfer, une caverne à la façade noire et rouge dans laquelle on pénètre par la bouche d’un démon. Et tandis que les clients du Paradis découvrent, à l’intérieur, un ciel peint constellé de nuages et d’étoiles, ceux de L’Enfer se retrouvent toisés par des sculptures de damnés, près d’une marmite géante!
Des clients du Cabaret de l’Enfer, en 1904. | Harry C. Ellis via Wikimedia Commons
Anges et démons
Bien entendu, l’illusion est entretenue par les décors, mais aussi par le personnel et la carte des consommations. Dans le Cabaret de l’Enfer, c’est un petit diable qui prend les commandes, promettant mille tortures aux consommateurs indécis. Dans l’établissement voisin, une troupe d’angelots volète entre les tables, servant vin et bière (bénits) directement dans un calice. Ces cafés-concerts sont également animés par des spectacles: L’Enfer propose des «attractions diaboliques», tandis que Le Ciel offre un «prêche humoristique» sous le regard de saint Pierre…
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Ces étranges établissements voisinent avec un autre, le Cabaret du Néant, implanté au n°34 du boulevard de Clichy. S’il s’inscrit dans la même démarche artistique, ce dernier accueille ses invités dans une ambiance beaucoup plus macabre: une atmosphère de caveau, des chandeliers osseux, des cercueils en guise de tables et des serveurs habillés en croque-morts.
La «salle d’intoxication» du Cabaret du Néant (ouvert en 1892), où les clients s’asseyaient sous des chandeliers faits d’os humains et buvaient autour de tables en forme de cercueils. | Auteur inconnu via Wikimedia Commons
À l’entrée du Néant, des lanternes vertes donnent aux passants l’allure livide des cadavres. «Si Le Ciel et L’Enfer, dirigés par l’aimable M. Antonin [Antonin Alexander, ndlr], méritent une visite, il n’en est pas de même du Néant, fréquenté par les hystériques et les névrosés», grince un visiteur de l’époque. On ne peut pas plaire à tout le monde!
Vers 1900, le caveau des Spectres tristes du Cabaret du Néant, qui était situé au 34, boulevard de Clichy, dans le XVIIIe arrondissement de Paris. | Auteur inconnu via Wikimedia Commons
Comme on peut s’en douter, entre les murs aveugles de ces tavernes, les excès de boisson ne sont pas rares… Ce à quoi la croisade hygiéniste contre l’alcoolisme va tenter de remédier à la fin du XIXe siècle. Le chant du cygne? Quelques années plus tard, l’orage d’acier annonçant la Grande Guerre achève la Belle Époque. Ainsi, prend fin l’optimisme qui galvanisait toute une génération, passée brusquement des cabarets aux tranchées, de l’enfer sur table à l’enfer sur Terre.
En 1950, on abat les deux cabarets de l’au-delà pour agrandir le supermarché Monoprix voisin. Depuis lors, le boulevard de Clichy paraît bien morne, coupé des allées et venues de ses anges et de ses démons.
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