Je me souviens du temps béni où nous vivions ensemble sans trop s’encombrer de questions. Nous étions si heureux et insouciants dans le quartier interconfessionnel de La Goulette dans la banlieue de Tunis. Je me souviens comme si c’était hier de l’été 96.
Sous la chaleur claire et étouffante du ciel de la Méditerranée, nous attendions impatiemment la sortie d’un film événement avec Claudia Cardinale. Tous les garçons étaient amoureux d’elle et toutes les filles voulaient lui ressembler.
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Chronique légère et pétillante d’une harmonie éphémère, Un été à La Goulette raconte à la fin des années 1960 la vie de trois familles qui habitent le même immeuble. Une famille juive, l’autre musulmane et une troisième chrétienne, dont les filles se sont liées d’amitié. Au rythme des soirées estivales et des baignades dans la grande bleue, elles s’abandonnent à la douceur de vivre.
Dans cette atmosphère du sud imprégnée de senteurs subtiles de jasmin et de notes de bergamote, les trois jeunes femmes partagent le même goût triomphant pour la vie et l’amour. Sur l’avenue Roosevelt, les restaurants de poissons affichent complet et les tables bancales débordent jusque dans la rue. Sardines grillées, chorba ou brick à l’œuf, les plats sont à partager tout comme la bonne humeur communicative des serveurs qui griffonnent à la hâte la commande sur des bouts de papier en guise de nappe.
Joyeux capharnaüm où s’entremêlent des mots en arabe et en hébreu. Et quand disparaissent les derniers rayons de soleil, tous les regards se tournent vers les petites lumières des barques de pêcheurs qui prennent le large comme s’évadent les pensées du soir en imaginant des lendemains heureux.
Claudia Cardinale, « l’enfant du pays », n’a jamais été aussi belle. Les portes bleu azur des maisons renvoient à la couleur d’un ciel sans nuages. L’hôtel La Baie des singes est le lieu de rendez-vous incontournable. Les « bambalonis », grands beignets frits, dégoulinent de sucre. Le fameux TGM, ligne de train reliant Tunis-Goulette-Marsa est plein à craquer. Les enfants parient leur sac de billes. Derrière les bougainvilliers fleurissants, la sensualité des ombres raconte un amour naissant. Sous les peaux burinées par le soleil et les poitrines gonflées par le désir, une furieuse envie de vivre ensemble.
La douceur nonchalante de l’été 66 n’est déjà plus qu’un lointain souvenir
Quand le fameux « vivre-ensemble » signifiait encore quelque chose. Mais rien n’est plus fragile que le bonheur, véritable vase de cristal dont la moindre ébréchure peut annoncer un grand fracas. Dans le film, transistor collé à l’oreille, Michel Boujenah vient d’annoncer la guerre israélo-arabe des Six Jours. La douceur nonchalante de l’été 66 n’est déjà plus qu’un lointain souvenir. Les personnages ont presque instantanément oublié ce qu’ils ont en commun pour s’affronter sur le terrain idéologique.
Désormais, les familles de Youssef le musulman, de Jojo le juif tunisien et de Giuseppe l’Italien catholique vivent face à face et non plus côte à côte. Reste l’amitié des trois jeunes filles qui ne veulent pas se laisser entraîner dans la folie destructrice de leurs familles respectives et vont imaginer pour cela un drôle de stratagème.
Je vous laisse voir ou revoir le film du cinéaste Férid Boughedir pour connaître la fin de l’histoire. Malheureusement, la vie n’est pas un film. Et on connaît la suite dans la réalité. Le quartier de La Goulette, cliché d’une Méditerranée éternelle et cosmopolite, n’est plus ce qu’il était.
J’ai vu partir tous mes amis juifs de l’époque. Ils se sont retirés comme le soleil sur des terres froides et inhabitées. Les maisons se sont vidées, les souvenirs ont été abandonnés et le vivre-ensemble, enterré. Pourtant, à chaque fois que je retourne en Tunisie, chez ma grand-mère dans ce même quartier, je ne peux m’empêcher de repenser à ce paradis perdu. Je suis restée coincée dans cette bulle temporelle, lost in translation dans La Goulette d’antan. J’ai beau regarder autour de moi, je ne reconnais aucun visage.
Soudain, un chant familier me caresse les oreilles. Des notes montent vers le Très-Haut. Nous sommes le 15 août, date qui marque la procession de la Madone de Trapani, une fête traditionnelle que la communauté chrétienne célèbre chaque été en l’église Saint-Augustin et Saint-Fidèle de La Goulette. Normalement, la procession démarre par la sortie de la Madone sur les épaules des croyants avant de traverser dans une incroyable ferveur les rues de la ville. Mais faute de fidèles, tout se déroule désormais dans la petite cour intérieure de l’Église.
On n’entendra plus ces chants monter dans le ciel de Tunis. On ne percevra plus les youyous des femmes musulmanes portant un élégant voile blanc, le sefseri, et qui accompagnaient le convoi de la Madone aux côtés des communautés chrétiennes et juives. On ne pourra pas non plus rembobiner la pellicule du film Un été à La Goulette pour retrouver les trois jeunes femmes musulmanes, juives et chrétiennes. On ne les verra plus profiter pleinement de leur jeunesse et de leur liberté.
Rien ne subsiste de la carte postale passée. Sauf un détail. La nature méditerranéenne
Elles étaient pourtant si belles les cheveux au vent sur la plage de Tunis à se chamailler sur des sujets futiles. Leurs robes étaient aussi légères que leur état d’esprit. Au loin, les bateaux de pêche sont écrasés par l’ombre de paquebots gargantuesques.
Le tourisme de masse a recouvert de sa masse graisseuse la nuance des rêves d’escapade. Rien ne subsiste de la carte postale passée. Sauf un détail. L’essentiel. La nature méditerranéenne. La chaleur des pierres blanches. De clairs rivages. Les chapelets d’oliviers. Le vent brûlant. Le sourire de la mère. Toujours des ombres derrière les bougainvilliers. Et si les jeunes filles des trois familles musulmanes, juives et chrétiennes s’y étaient cachées le temps de la guerre ? On peut toujours rêver à un paradis retrouvé.
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