La question n’appelait pas foncièrement de position tranchée. Tout au plus, les avis divergeaient, mais sans réelle véhémence. Il y a ceux qui espéraient quelques ultimes tours de platine, confiants en la capacité de Robert Smith d’éveiller quelques fantômes du passé. Sans se projeter sur une galette du calibre de la première trilogie (Seventeen Seconds/Faith/Pornography), ils entretenaient une petite flamme dans un cœur de pierre tombale.
Et puis, il y a ces autres… Ceux qui n’attendaient plus rien des Cure, sur le plan discographique. Surtout après un 4:13 Dream pour le moins bancal, dans lequel le grand Robert donnait, à la fois, l’impression de vouloir renouer avec la période Japanese Whispers/The Head On the Door, sans convaincre, tout en proposant, malgré tout, de rares pièces éthérées de qualité (Underneath the Stars).
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Dire que ce treizième album était indigne des Britanniques était exagéré, ne serait-ce que pour le morceau d’ouverture ou le troublant The Scream. En revanche, son manque global de panache et la trop forte présence de mélodies indigentes rendaient le millésime 2008 inapte à clore honorablement l’un des parcours musicaux les plus marquants de ces quatre dernières décennies.
Le monde du silence
2008… Une autre vie. Les réseaux sociaux n’ont pas encore bouleversé les codes du vivre ensemble même si MySpace permet, notamment, aux artistes émergents de contourner l’autorité des maisons de disques et proposer directement leurs morceaux via la plateforme. Les forums de discussions ont encore de belles heures devant eux mais très vite Facebook et Twitter vont prendre de l’ampleur et modifier l’axe de rotation de la com’.
Coïncidence, c’est justement la période où Robert Smith a décidé de prendre du recul. Depuis 1992, les Cure s’étaient calés sur un rythme de mandats présidentiels américains pour sortir un nouvel album : Wish, en 1992, Wild Moon Swings, en 1996, Bloodflowers, en 2000, The Cure (2004), 4:13 Dream (2008), mais rien en 2012 et morne plaine, quatre et huit ans plus tard.
Le groupe n’a pas pour autant disparu. Malgré les sempiternels changements de line up, ce dernier n’a pas déserté le terrain et tourne à travers la planète tout en se ménageant des phases off plus longues que dans le passé.
Les années passant, il n’était pas infondé de penser que Doctor Robert allait se poser mille questions quant au devenir de Mister Smith. Lorsqu’on possède une image aussi forte, un look adopté par tant de fans, comment appréhender l’épreuve du temps ? C’est oublié que le musicien s’en contrefiche totalement et que, déjà, en 1989, dans un entretien pour le magazine Best, il confiait à propos de son éventuel déclin : « Il ne m’effraie pas, il me révolte. »
Esquissé sur scène
On pouvait alors imaginer que l’artiste ne prenait pas la juste mesure de ses propos, que petit à petit, il reviendrait forcément à la sobriété des débuts. Que Mary, son épouse et muse, allait se lasser de ce maquillage qu’elle aime chez son homme.
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Il n’en a rien été. Aujourd’hui âgé de 65 ans, Robert James Smith n’a pas renoncé à son image iconique. Et il a d’autant plus eu raison qu’au-delà des traits quelque peu épaissis par les années, rien n’a changé en lui, à commencer par sa voix. Ne manquait plus qu’un regain d’inspiration qui permettrait à de nouvelles chansons d’éclore.
C’est désormais chose faite avec Songs of a Lost World, quatorzième exercice studio du groupe. Un disque qui s’est esquissé sur scène, avant que le maître d’œuvre ne s’y penche avec plus de minutie.
Après 16 ans de silence, il n’était pas question de rendre une copie paresseuse, surtout lorsqu’on a habitué son public à des atmosphères soignées, des pièces d’inspiration pop mais retravaillées d’une telle façon qu’on classerait la musique des Cure dans la catégorie moléculaire s’il s’agissait de cuisine.
Chansons pour les absents
Après l’incompris The Cure et le pâlichon 4:13 Dream, Smith devait remettre l’église gothique au centre du village. Songs of a Lost World fait bien mieux. Non seulement, il enterre ses prédécesseurs sur le plan artistique, mais il ouvre également le débat quant à savoir s’il s’agit du meilleur disque du combo depuis Bloodflowers ou Desintegration.
Au-delà des considérations, l’album est, sans mauvais jeu de mots, un monde à lui tout seul. La longue intro d’Alone n’échappe pas à cette tradition invitant l’auditeur à passer par une sorte de sas de décompression. L’entrée dans ce paradis perdu ne peut se faire autrement qu’en mettant le maximum de sens en éveil. C’est la principale condition pour en mesurer non seulement les contours et apprécier à leur juste valeur les mélodies qui tapissent ces 50 minutes dont on ne sait, malgré un champ lexical approprié (And Nothing Is Forever, Endsong), si elles constitueront le chant du cygne du groupe. Après tout, Smith le chante lui-même : « I can never say goodbye », même s’il s’adresse, ici, à son frère décédé en 2017, et, par ailleurs, à ses parents disparus.
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Aucune des huit pièces de l’album ne semble lorgner vers la quête d’un éventuel hit. Tout juste Warsong, avec ses guitares gorgées de reverb et ses cordes pincées façon Lullaby, interpelle mais la seule structure du morceau, à moitié instrumental et sans refrain, le disqualifie sur ce point. A Fragile Thing ? Son piano hypnotique et cette basse si caractéristique du frère d’armes Simon Gallup, seul membre des débuts ou presque encore présent, en fait sans doute le seul titre apte à prétendre à un tel statut avec, peut-être, le shoegaze Drone:Nodrone.
Point final ?
Très douce, And Nothing Is Forever rejoint les Just Like Heaven, M et autres Lovesong dans le chapitre des chansons dédiées à l’amour de sa vie. All I Ever Am, quant à lui, aurait pu se retrouver sur n’importe quel disque antérieur. Mais son apparente caution de morceau basé sur la « recette classique » ne nuit pas à ses qualités dont l’une des principales est, toutefois, d’introduire un autre des grands moments : le final Endsong.
Avec des paroles (« Staring at the blood red moon ») dont on pourrait croire qu’elles font écho à celle de Killing An Arab, tout premier single du groupe et inspiré par le roman L’étranger d’Albert Camus (« Staring at the sky, staring at the sand »), la pièce épique clôture un disque d’une grande profondeur. Mélancolique sans être morbide.
Quant à savoir s’il faut y voir une allusion testamentaire, faisant office de point final à l’immense carrière des Cure, seul un sexagénaire, n’ayant toujours pas voulu admettre qu’un peigne n’est pas un instrument de musique, a la réponse.
À ce jour, la discographie se termine sur ce « Nothing » répété trois fois. Si les Cure avaient été du genre à traverser un passage piéton en file indienne, nous aurions pu leur glisser les mots suivants : « Et à la fin, le spleen que tu prends est égal au spleen que tu donnes. »
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