Run to heaven, tome 1 Toan (scénario et dessin). Éditions Ankama, 280 pages, 9,95 euros. (parution 21 juin 2024)
Nous sommes en 2036, un conflit oppose depuis huit ans les îles du Nord et du Sud de l’archipel d’Arrecquero dans le Pacifique. Dans la capitale du Sud, Catéchu, soutenue par les États-Unis, la jeune Fee vit seule avec son père Kurk estropié et secrètement atteint de la maladie (incurable) de Charcot. Tous les deux attendent le retour de la maman, une fière amirale qui commande le vaisseau Calliope. Une véritable légende de l’armée.
Pour combler l’ennui et accessoirement sécher le collège, l’adolescente, qui ne se sépare jamais de son vieux walkman à cassettes « Suny », court chaque jour le long du littoral, pieds nus. Un amour pour la course qui coïncide avec le lancement des Jeux mondiaux à l’autre bout du monde et qui passionne tous les habitants de l’archipel tropical colonisé par les Portugais, les Chinois puis les Français. Particulièrement douée, Fee est recrutée par l’équipe juniors du collège Cachu pour participer à la fête du sport. Son style et la puissance qu’elle dégage finissent de convaincre la capitaine Camille lors d’un entraînement organisé sur le bitume d’une base aérienne. Mais la joie laisse rapidement place à l’horreur de la guerre et l’adolescente va devoir non plus courir pour son paradis mais pour sa liberté…
Le premier tome de Run to heaven arrive à point nommé à quelques jours des Jeux olympiques de Paris. Mais que l’on ne s’y trompe pas, si la bande dessinée fait la part belle à la course à pied, elle aborde surtout des sujets graves comme l’isolement social, le sentiment d’abandon, le harcèlement et la guerre vue par le prisme adolescent.
Jeune storyboardeur et dessinateur français, Toan signe avec ici sa première œuvre, un manga à mi-chemin entre shonen et seinen. En 2021 il avait participé en collaboration avec Seldon au concours « Magic international manga contest » à Monaco. Leur one-shot Imago avait remporté le premier prix ce qui leur avait valu une publication dans le magazine Shonen Jump +. Cette fois en solo, Toan a choisi de raconter l’histoire d’une jeune fille qui court pour combattre la violence, qui court aussi pour s’émanciper, elle dont le rêve est de voler.
Fils d’expatriés vietnamiens, « les boat-people » comme on les appelait à la fin des années 1970 et au début des années 1980, l’auteur a grandi en écoutant les récits de déracinement. C’est un peu de son histoire familiale que l’on retrouve dans ce manga où l’horreur de la guerre vient de deux camps. Elle n’est pas manichéenne. Le conflit opposant les deux îles de l’archipel (fictif) Arrecquero renvoie à la guerre du Vietman et à celle des deux Corées.
Influencé par des mangas cultes (Gunnm, Vampire hunter D, L’habitant de l’infini), les films de Satoshi Kon (Memories, Millenium actress), le cinéma hollywoodien (Apocalypse now, Forrest Gump) et les jeux videos old school (Metal gear solid, Zone of the enders), Toan est aussi un mélomane. Le manga est ainsi empli de références musicales, Fee utilisant son vieux walkman pour écouter des tubes qui ont marqué leur histoire : Stairway to Heaven de Led Zeppelin, Oh pretty woman de Roy Orbison, High hopes de Pink floyd et bientôt Bonjour Vietnam écrit par Marc Lavoine pour la touchante chanteuse belge Pham Quynh Anh.
Fee ne fait pas que courir, Toan la fait aussi danser sur la piste d’athlétisme, lui qui s’est beaucoup penché sur la vie de l’étoile du ballet russe Maïa Plissetskaïa. Les dessins gracieux de Fee sont un bel hommage à la danseuse qui a connu ses heures de gloire durant la période soviétique.
Avec un style crayonné, brut, voire violent, Toan réalise une prometteuse prouesse graphique qui ne semble, toutefois, pas encore aboutie. On sent bien l’inspiration de Yukito Kishiro dans les traits, notamment le papa de Fee qui ressemble beaucoup au père adoptif de Gally dans Gunnm. On notera aussi la belle couverture couleur avec Fee qui semble voler au-dessus d’un océan bleuté et scintillant sous le regard bienveillant d’une jeune femme. Une ode à la liberté.
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