► Quelles relations noue la Bible entre Dieu, les hommes et les animaux ?
La Bible fourmille d’animaux. Bêtes sauvages, animaux domestiques qui nourrissent l’homme, ou l’aident dans sa vie quotidienne, ont aussi un rôle de médiation entre les hommes et Dieu. Il y a ceux que l’on offre en sacrifice et qui, selon le bibliste Didier Luciani (2), professeur émérite de l’Université catholique de Louvain, « peuvent éventuellement remplir un rôle de restauration et de réintégration » dans une relation à Dieu abîmée par le péché ou l’impureté. Beaucoup se font aussi les « instruments de la providence divine », tels les corbeaux qui nourrissent Élie à la demande de Yahvé (1 R 17, 4).
Les animaux ont-ils donc une relation à Dieu ? De nombreux textes dans les Écritures font état de la sollicitude que Yahvé leur manifeste, le plus connu étant le récit du déluge : Dieu demande à Noé de sauver un couple de chaque animal terrestre (Gn 6, 20). Le déluge stoppé, il fait alliance avec Noé, mais aussi « avec tous les animaux de la terre » (Gn 9, 10). Les psaumes suggèrent même une forme de prière des animaux : « Les lionceaux réclament à Dieu leur nourriture » (Ps 104, 21).
► Les animaux, « partenaires » de l’homme dans sa relation à Dieu ?
De nombreux saints sont réputés pour leurs relations particulières avec des animaux. François d’Assise amadoua un loup féroce, Jean Bosco fut secouru plusieurs fois par un chien plus proche de l’ange gardien que de la bête… Du côté des orthodoxes, un florilège d’histoires rapporte que saint Païssios du mont Athos, décédé en 1994, fut aimé, aidé, compris et obéi par une ribambelle d’animaux (3).
Qu’en est-il de nos animaux de compagnie ? Selon le frère Xavier Loppinet, dominicain, docteur en théologie spirituelle (4), ils sont « les ambassadeurs de la Création, ils indiquent à leur maître que tout ce qui les entoure a été créé par un Dieu bon. L’harmonie entre certaines personnes et leur animal rappelle celle dans laquelle Adam vivait avant la chute. Le paradis est déjà là, dans cette relation privilégiée. »
Et puis, les animaux ont la capacité de nous rendre meilleurs : « L’animal, estime le frère Xavier, est un démultiplicateur de la charité humaine, comme un chien qui aide les sauveteurs à retrouver les victimes d’un séisme sous les gravats. » Dans la parabole du Bon Samaritain, c’est l’étranger accompagné par un âne qui porte secours au blessé (Lc 10, 25-37)… De nombreux maîtres d’animaux, constate le frère Xavier dans l’exercice de son ministère, disent qu’ils prennent ou reprennent conscience de leur humanité dans leur relation avec leur animal.
► Que disent la Bible et la théologie d’un « salut » des animaux ?
« Vais-je retrouver mon chien au paradis ? » Les questions de certains fidèles, mais aussi, sous un autre mode, les découvertes scientifiques, interpellent aujourd’hui pasteurs, biblistes et théologiens sur la question animale. Ces derniers avancent des réponses prudentes sur l’accès des animaux au salut mais plus ouvertes que dans les siècles précédents.
Dans l’Ancien Testament, le psaume 36 écrit : « Tu sauves, Seigneur, l’homme et les bêtes. »« Il y a déjà, estime Xavier Loppinet, une vision globale de la Création dans la Bible. Comment le créateur pourrait-il vouloir n’en sauver qu’une partie ? », interroge-t-il, faisant ainsi écho au « tout est lié » du pape François dans Laudato si’.
Pourtant, en théologie, il existe de solides objections à l’entrée des animaux dans le royaume des Cieux. L’Église tient généralement pour certain qu’ils n’ont pas d’âme. Pour le frère Franck Dubois (5), docteur en théologie et dominicain lui aussi, « les animaux sont dotés d’une âme si l’on considère que l’âme est le principe de vie. Mais dans la conception traditionnelle sur la Résurrection,seule l’âme humaine est capable de recevoir la vie de Dieu. »
Mais le frère Dubois ajoute : « L’âme est aussi le principe qui nous individualise, et c’est une question débattue de savoir si l’on peut parler d’individus au sujet des animaux. » Sur ce point, les découvertes scientifiques récentes sur le comportement animal invitent à reconnaître une « personnalité » aux membres de certaines espèces. « Cela va dans le sens d’un avenir pour eux dans le Royaume de Dieu. »
Une autre objection affirme que pour aller au paradis, il faut avoir vécu une vie moralement bonne. Les animaux n’ayant pas de conscience morale, ils n’y auraient pas accès. « Cependant, selon saint Paul, argumente le frère Dubois, toute la Création a sans le vouloir subi les conséquences de la chute d’Adam et Ève (Rm 8, 20). Pourquoi ne pas penser qu’elle pourrait aussi bénéficier sans le vouloir des conséquences de la rédemption ? » Le dominicain pointe là une immense responsabilité humaine dans le sort passé, présent et à venir de la Création. « Car, selon Xavier Loppinet, ce n’est qu’avec l’homme que les animaux peuvent être sauvés », l’homme étant lui-même, selon la tradition chrétienne, « racheté » par le Christ.
► Alors, oui ou non, les animaux iront-ils au paradis ?
Questionné, le dominicain Xavier Loppinet nuance : « Je répondrais que oui, mais je m’arrêterais à la porte du paradis. » En fait, développe-t-il, « les deux réponses sont acceptées par l’Église catholique. On peut adopter l’une ou l’autre sans être hérétique. » Le frère Franck Dubois confirme : « L’Église n’a pas de réponse définitive. »
Cependant, Xavier Loppinet estime que « tout ce qui a eu de l’importance dans l’histoire de l’homme, Dieu en tient compte ». De même Didier Luciani, en des termes différents : « Ce qui subsistera de notre relation aux animaux relève de l’ordre du désir et sera proportionnel à la force de la relation qui aura été entretenue avec eux. » Autrement dit, ces animaux, qui ont donné du sens à des vies humaines, pourraient avoir une forme de présence au paradis plus probable que celle des moustiques ou des dinosaures.
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Le salut des animaux, un sujet théologique actuel
Dans la Bible, les animaux peuvent jouer un rôle de médiateurs entre les hommes et Dieu. Par leur sacrifice ou par leur aide, ils restaurent une relation abîmée, et sont le signe de la providence divine.
La Bible dit peu de chose d’un « salut » animal, sur lequel l’Église ne se prononce pas formellement. Certains textes pourraient être interprétés dans ce sens. L’absence d’âme et de conscience morale des animaux reste pourtant une objection solide au salut des animaux.
Aujourd’hui, les chrétiens qui ont des animaux, les avancées scientifiques et les questions écologiques amènent les biblistes, les théologiens et les pasteurs à reprendre la réflexion de l’Église. Celle-ci envisage davantage la Création dans sa globalité, y compris par rapport à la question du salut.
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Un livre. L’Église et la cause animale
L’Église et la cause animale. Vers une théologie chrétienne des animaux
Sous la direction d’Éric Charmetant, sj, et Estela Torres)
Facultés Loyola Paris, 396 p., 24 €
Ce livre est le fruit de quatre journées d’études organisées aux facultés jésuites de Paris, entre 2021 et 2023. Paroles de militants chrétiens de la cause animale, repères historiques sur les positions de l’Église, réflexion théologique et philosophique, interrogations sur l’éthique chrétienne… Les questionnements et les repères que l’on y trouvera ne visent pas un consensus « illusoire », comme l’écrit Mgr Jean-Pierre Vuillemin, évêque du Mans dans la postface de livre. Mais, dans un contexte marqué par la question environnementale, comment ne pas se demander quel regard particulier les croyants ont à poser sur les animaux ? Ces contributions de spécialistes catholiques, mais aussi orthodoxes et protestants, offrent un large panorama sur l’état de la recherche, de lecture très accessible.
(1) « Quelles relations entre l’humain et les animaux au regard des théologies de la création ? », Université catholique de Lyon, 16-17 mai, et « Vers une relation humain-animal ajustée », Facultés Loyola Paris, 1er juin.
(2) « Que dit la Bible sur le salut des animaux ? », in Éric Charmetant et Estela Torres (dir.), L’Église et la cause animale. Vers une théologie chrétienne des animaux, Facultés Loyola Paris, 396 p., juin 2024.
(3) cf. Pietro Chiaranz, « Les animaux et la création dans la tradition théologique orthodoxe », id., p. 200-205.
(4) Auteur de Mon chien me conduira-t-il au paradis ?, Cerf, 2020.
(5) Auteur de Pourquoi les vaches ressuscitent (probablement), Cerf, 2019.
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