À Saint-Félix-de-Pallières (Gard, sud de la France) et dans ses environs, l’héritage minier continue de plomber la santé des habitants et leur environnement, gorgé de métaux lourds. Après une décision du Conseil d’État en avril, l’ancien exploitant doit lancer les travaux de dépollution le mois prochain.
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De notre envoyé spécial,
« On pourrait croire qu’il s’agit d’un sentier paisible, mais regardez ! » Sur le chemin de pierraille qui court à l’ombre des pins, André Charrière s’est arrêté d’un coup. Du bout de son soulier, le géologue à la retraite pointe trois cailloux orangés. « Des morceaux de chapeau de fer », commente-t-il, cette croûte caractéristique des gisements métallifères. Un peu plus loin, un trou béant marque l’entrée d’une ancienne galerie d’où on sortait le minerai. Le presque octogénaire reprend sa marche, gaillard, sans un regard pour le panneau rouge et blanc cloué sur un tronc : « Attention. Entrée interdite. Site pollué ».
En contrebas, au milieu des feuillages, le Paleyrolles est immobile, comme mort, teinté d’une étrange couleur ocre. André Charrière raconte avoir été « totalement effaré » en remontant à la source du ruisseau. « Son pH était à 2. C’était de l’acide quasiment pur, s’alarme-t-il. Il ne peut pas y avoir de vie là-dedans ! » Plus loin, c’est l’Ourne, qui jouxte son jardin, puis le Gardon, qui arrose la coquette cité touristique d’Anduze, et enfin le Rhône. Mais avant, il y a la propriété de Michel Bourgeat, 88 ans. Une belle maison en pierres construite de ses mains et entourée de dix hectares de terrain. « Quand j’ai acheté en 1980, la couleur du ruisseau m’avait inquiété. Mais tout le monde m’avait rassuré en me disant que ce n’était rien, que c’était simplement dû à la présence du fer dans le sol », se remémore le vieil homme face aux collines verdoyantes.
« Je suis bourré d’arsenic »
Depuis, Michel Bourgeat a vu ses animaux mourir les uns après les autres, tous terrassés par des cancers. Aux mamelles pour deux chiennes, aux testicules pour un chien. Deux ânesses ont succombé d’une leucémie. Jaurès, son labrador noir – surnommé Jojo –, ne souffre pour sa part que d’un léger surpoids dû à son grand âge. « Lui, il reste ici, explique son maître. Les autres mangeaient dehors, ils allaient se baigner dans le ruisseau. » Son épouse n’a pas été épargnée. Elle aussi est décédée après un cancer du sein et de la peau. Lui-même se bat contre la maladie. La prostate, d’abord, puis les poumons, les os, la peau. Même s’il est impossible à prouver, difficile pour lui de ne pas y voir un lien avec le passé minier de la région. D’autant que ses analyses d’urine révèlent des taux d’arsenic huit à neuf fois supérieurs à la normale. « Je suis bourré d’arsenic », constate cet ancien technicien supérieur à la mairie d’Alès. Nanou, son aide à domicile, sourit tristement : « On vit dans un paradis empoisonné. »
Pendant plus d’un siècle, les hommes ont creusé ce bout des Cévennes riche en zinc et en métaux dérivés. Dans les années 1950, le secteur de la Croix-de-Pallières, qui s’étend sur les communes de Saint-Félix-de-Pallières, Thoiras et Tornac, est le troisième plus grand site minier de plomb et de zinc de France. Jusqu’à 175 mineurs y travaillent. Quelque 80 000 tonnes de zinc et 34 000 de plomb en seront extraits. Lorsque la société Union minière ferme le site en 1971 faute de rentabilité, deux millions et demi de tonnes de résidus et de stériles – des matériaux trop pauvres en minerai pour être exploités – sont abandonnées là, en pleine nature. Du zinc, du plomb, du manganèse, mais aussi de l’arsenic, du cadmium, de l’antimoine… que les grosses pluies automnales charrient jusqu’aux cours d’eau et que les vents éparpillent dans la vallée.
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Mais, officiellement, aucun danger. Toutes les mesures de sécurité nécessaires ont été prises, affirme le bureau d’études de l’exploitant belge en 1998. Les bâtiments ont été détruits et les galeries bouchées. Au sujet du Paleyrolles, il écrit : « Pollution due aux terrains naturels traversés à l’aval dans le ruisseau ». Une conclusion confirmée trois ans plus tard par les directions départementales de l’agriculture et de l’industrie du Gard. « Les résultats obtenus pour ce qui est de la teneur en plomb, zinc, cadmium, montrent une qualité des eaux du ruisseau répondant aux critères de qualité de classe 1B, voire de classe 1A (…) La qualité des eaux du ruisseau de Paleyrolles ne paraît pas susceptible de porter atteinte à la santé », répondent-elles à une habitante qui s’inquiète, elle aussi, de la couleur de l’eau.
Quant aux dépôts miniers, un seul est déclaré : une digue à stériles de 3,5 hectares haute comme une petite colline, recouverte d’argile et d’une couche végétalisée renfermant une tonne et demie de déchets. Les autres terrains ont été vendus aux municipalités ou à des propriétaires privés. Durant plus de vingt ans, la « dune du Pilat cévenole », comme la surnomment les habitants en référence à celle du bassin d’Arcachon, est le terrain de jeu préféré des enfants. On la descend en luge, on la parcourt à cheval. Les jours de grand vent, les tourbillons de poussière créent un paysage de western.
En 1999, une gigantesque rave party est même organisée à ses pieds. Six mille teufeurs se retrouvent pendant une semaine sur l’ancien carreau de mine racheté dix ans plus tôt par un groupement foncier agricole. Le lieu devient un refuge pour les « roulards » de toute l’Europe, ces semi-nomades qui logent dans leurs camions et vivent de petits boulots. Les années suivantes, des fêtes rassemblant des centaines de personnes continuent à être organisées le temps d’un week-end, au milieu d’un décor post-apocalyptique constitué de carcasses de véhicules rouillées, et au grand dam des riverains. Personne ne semble avoir conscience d’une quelconque menace pour la santé. « Quand on parlait de « stériles », je pensais que cela signifiait que c’était propre, sans risque ; pas que c’était inutilisable commercialement », confesse Sylvie Dupard, coprésidente de la Mine, l’association qui gère le lieu.
Plainte contre X
Le tournant survient en 2008, quand Geoderis, le groupement d’intérêt public spécialisé dans les risques de l’après-mine, dresse une première cartographie des sites contaminés. Il y est notamment question du terrain d’accueil des « roulards », directement exposés à des résidus miniers « fortement contaminés », mais aussi du Paleyrolles dont la qualité apparaît « grandement affectée ». Le rapport est envoyé au maire de Saint-Félix-de-Pallières accompagné d’un courrier du préfet. Objet : « Zone(s) présentant de fortes concentrations de plomb et autres métaux dans votre commune ». Il n’est exhumé d’un tiroir que deux ans plus tard grâce à la pugnacité d’un habitant, Johnny Bowie. Branle-bas de combat dans le village. L’association des Riverains des mines de la Croix-de-Pallières est créée. Elle deviendra l’Association pour la dépollution des mines de la Vieille Montagne (ADAMVM), de l’ancien nom de l’exploitant du site.
L’association propose aux « roulards » d’effectuer des tests sanguins. Et comme la Sécurité sociale ne rembourse que ceux pour le plomb, des collectes sont organisées pour financer les autres. « On s’est aperçus qu’on avait des taux énormes », se souvient Sylvie Dupard. L’Agence régionale de santé du Languedoc-Roussillon s’empare alors du dossier. Une vaste campagne d’analyses est menée auprès des riverains en 2015. Six cent soixante quinze personnes sont testées dans un premier temps. Les résultats montrent que près d’un quart des volontaires présentent des taux d’arsenic supérieurs à la normale, et 13% pour le cadmium.
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Le verdict fait l’effet d’un électrochoc. Vingt-sept familles, dont celle de Michel Bourgeat, portent plainte contre X auprès du pôle Santé publique de Marseille pour « mise en danger de la vie d’autrui ». L’affaire est classée sans suite en 2020. Dans ses conclusions, la procureure de Marseille affirme qu’il n’a pas pu être déterminé « de manière certaine que les métaux lourds présents sur les sites étaient d’origine humaine et non naturelle », et rappelle que « le lien de causalité entre la pollution et les pathologies de certains plaignants ne fait pas l’objet d’un consensus scientifique ». « Il est vrai qu’il est très difficile d’apporter la preuve de la causalité », concède le docteur François Simon, ancien président de l’ADAMVM. Même si l’arsenic et le cadmium sont des cancérigènes reconnus, les pathologies cancéreuses mettent parfois quinze à vingt ans à apparaître, si bien qu’on ne peut pas lier les deux. « Il aurait fallu mener de véritables enquêtes épidémiologiques, faire des comparaisons avec des populations témoins », reproche le médecin retraité.
Entre-temps, Geoderis a publié un second rapport, identifiant 43 hectares de dépôts miniers en plus de celui de la digue. L’organisme constate une « dégradation de l’état des milieux associée à la présence des anciennes activités minières et industrielles connexes ». « Cette dégradation a été caractérisée pour les milieux sols, végétaux de consommation, air ambiant, eaux superficielles et souterraines », peut-on lire en conclusion. Cinquante ans après la fermeture des derniers puits, les habitants de Saint-Félix-de-Pallières et de ses environs ont enfin une idée précise de la situation à laquelle ils sont confrontés.
D’inquiétantes flaques brunes
La lutte pour obtenir réparation est un combat de longue haleine, dans lequel l’ADAMVM vient de remporter une bataille majeure. Le 18 avril dernier, après six ans de bras de fer judiciaire, le Conseil d’État a contraint Umicore, le dernier exploitant des mines, à dépolluer les sites. Jusque-là, le géant belge s’était contenté de confiner la digue à stériles en la couvrant d’une immense bâche imperméable et d’en interdire l’accès avec un grillage. « C’est une décision qui nous satisfait pleinement, se réjouit André Charrière. D’autant qu’elle va faire jurisprudence. Des sites comme ceux-là, il y en a des milliers en France. » L’association SystExt, spécialisée dans l’industrie minière et ses effets sanitaires, sociaux et environnementaux, en a recensé 2 118 précisément.
Les travaux de dépollution doivent commencer en septembre par le cercle de l’Issart, un cirque de terre blanchâtre au creux duquel émergent d’inquiétantes flaques brunes aux reflets huileux. « Elles sont là en permanence, quelle que soit la saison, même en période sèche », assure André Charrière. Sur les chemins de randonnée qui le longent, des panneaux recommandent aux promeneurs de ne pas cueillir de végétaux et déconseillent les pique-niques et tout arrêt prolongé. Il faut dire qu’ici, les concentrations en métaux lourds pulvérisent les seuils d’acceptabilité. Plus de 1 250 tonnes de résidus doivent en être évacués par camions jusqu’au site de stockage de déchets industriels de Bellegarde, dans le sud-est du département. Viendra ensuite le tour du terrain d’accueil de la Mine, qu’une bonne partie des occupants ont déjà déserté pour l’occasion.
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Rien n’est en revanche encore prévu pour la commune voisine de Durfort-et-Saint-Martin-de-Sossenac, qui possède pourtant elle aussi sa dune de déchets miniers. On la trouve à l’écart du village, à proximité des ruines d’une ancienne laverie, où le minerai était nettoyé et trié. Une fine couche de sable la recouvre ; « un cache-sexe hypocrite », cingle André Charrière. Aucune clôture n’en interdit l’accès. Seul un panneau planté au bord d’un sentier signale « de fortes concentrations de plomb et autres métaux ». Pas de quoi décourager les amateurs de quad ou d’éventuels maçons en quête d’un sable à moindre coût. « Les données sur la pollution ici sont très fragmentaires, regrette Jean Marzelle, un ancien chirurgien des Hôpitaux de Paris. Tout date du rapport Geoderis de 2008 qui a révélé des taux en plomb, zinc, cadmium et antimoine de 200 à 600 fois supérieurs à la normale. »
Déni
Quand le médecin retraité s’est installé là, la précédente propriétaire lui a déconseillé de jardiner. À Durfort, cela fait des années que les potagers irrigués par le Vassorgues ne sont plus cultivés. Mais la pollution minière restait un sujet largement tabou. La parole a commencé à se libérer il y a quelques mois, à la faveur de réunions publiques. « On a appris qu’un enfant était atteint de saturnisme, une maladie due au plomb. Qu’un autre avait développé une tumeur à la jambe », rapporte Jean Marzelle.
Il n’y a pas qu’à Durfort que domine cette impression de déni : on l’observe aussi à Saint-Félix-de-Pallières. Bruno Weitz, son maire depuis deux ans, dit être souvent pris à partie par ses administrés. Encore récemment, deux d’entre eux l’ont interpellé en lui reprochant de raconter « n’importe quoi » dans les médias. « Ils m’ont demandé comment il pouvait y avoir de la pollution alors qu’il y a des arbres partout », se désespère l’édile. Les raisons sont multiples. La peur de voir fuir les touristes et s’effondrer les prix de l’immobilier, bien sûr. Mais aussi une volonté de ne pas injurier le passé. « La mine, c’était la richesse du coin. Les mineurs étaient considérés comme des seigneurs », rappelle Hélène Le Gallic, l’actuelle présidente de l’ADAMVM.
Michel Bourgeat, lui, n’en dort plus, obsédé par cette maison qu’il ne peut même pas laisser à ses enfants et l’indemnisation que la justice lui refuse. « Je n’ai plus la force de me battre », confie-t-il. Mais pour beaucoup, passé le choc de savoir son quotidien empoisonné, est venu le temps de la résilience. Les recommandations de l’Agence régionale de santé – se laver régulièrement les mains, ne pas laisser les enfants jouer dans la terre, préférer une serpillère humide à l’aspirateur pour nettoyer les sols… – sont devenues des réflexes. Hélène Le Gallic lave ses baskets dès qu’elle revient de son footing. André Charrière a changé la terre de son potager qu’il avait prise au bord de la rivière, la pensant plus riche en nutriments avant de s’apercevoir que ses légumes étaient surtout chargés en métaux. Sur le terrain de la Mine, la seule chose qui continue à tracasser Sylvie Dupard sont les remontées de sulfates qui blanchissent le sol. « Mais les chiens n’ont pas l’air d’avoir les pattes brûlées », relativise-t-elle.
Des plantes dépolluantes
Les époux Leclercq ont, quant eux, choisi « l’action ». « On a des enfants. C’est compliqué de les élever en leur répétant qu’ils vivent dans un environnement pollué. Puisqu’on ne pouvait pas vendre, il fallait faire quelque chose », explique Stéphan, le mari. Il y a deux ans, il a donc racheté les trois hectares de l’ancienne mine Joseph, où 600 000 tonnes de déchets miniers ont été entreposées sur une pente à 45 degrés. Mais cet artiste céramiste y voit bien plus que des terres contaminées. « Je vais passer pour un poète, mais on est sur un terrain qui est exploité depuis 2000 ans. Ce n’est pas rien, il y a un patrimoine humain ! », s’enflamme-t-il.
Son idée : y cultiver des plantes tinctoriales capables de dépolluer les sols en « pompant » les métaux qu’ils contiennent. La technique a un nom : la phytoremédiation. Elle a déjà fait ses preuves en Nouvelle-Calédonie pour le nickel ou dans la commune cévenole de Saint-Laurent-le-Minier, où la chercheuse Claude Grison a utilisé deux espèces de ces plantes miraculeuses pour décontaminer l’ancien site industriel. « Mais cette méthode prend du temps, prévient la scientifique basée à Montpellier. Et cela exige une surveillance permanente. »
Stéphan Leclercq tâtonne encore. « Il y a des graines qui ne prennent pas, des racines qui crament », constate-t-il. Les premiers résultats sont tout de même encourageants. L’apprenti botaniste a déjà réussi à faire pousser du fustet, dont le bois produit une belle teinture orange. « On a testé nos produits fabriqués à partir de ces plantes et on les a comparés à ceux de l’industrie textile : on s’est aperçus que les nôtres étaient plus écolos », assure-t-il en étalant dans le bric-à-brac de son atelier de larges écharpes colorées.
Mais tout de même, n’a-t-il jamais songé à fuir ces terres empoisonnées ? De l’autre côté de la verrière, la grisaille du matin s’est enfin dissipée. Le soleil chauffe doucement les collines boisées. La question semble tout d’un coup absurde. « Partir, mais pour aller où ?, réplique Stéphan Leclercq. Ok, je dois me laver les mains en permanence, mais quand je me lève, j’ai cette vue. Ça compte. »
À suivre : Eaux métalliques: le pouvoir des plantes invasives contre la pollution industrielle [2/2]
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