Il ne faut pas longtemps pour reconnaître ceux qui débarquent là pour la première fois. À l’aéroport, d’abord, ils demandent au taxi de se rendre à « Jericoacoara ». Or ici, tout le monde dit « Jeri ». Ils sortent du 4 x 4 avec l’air secoué de ceux qui ne savaient pas que le paradis se mérite. Et qu’on y arrive seulement après quarante-cinq minutes de gymkhana à travers les dunes. Puis, il y a l’ultime signe distinctif : les filles qui essaient d’avancer avec leurs chaussures à talon dans… le sable. Dans cette ville plantée au milieu d’une étendue poudreuse, qu’on soit P-DG, routard, influenceuse ou vedette de télé, on comprend vite qu’il n’y a qu’un style qui vaille : décontracté.
Comme le résume Alain Pouyer, l’un des nombreux Français installés là et propriétaire de Flow, un espace de coworking : « Jeri met tout le monde sur un pied d’égalité. Les milliardaires et les locaux boivent leurs caïpirinhas côte à côte, les pieds dans le sable. Les Berluti ou les Louboutin restent dans la penderie à Sao Paulo, New York ou Paris. »
TÉLÉTRAVAIL. Alain Pouyer, un ex-Parisien, a créé un espace de coworking dans une petite auberge. Pour protéger les ordinateurs, il a remplacé le sable par du faux gazon. © Guillaume Soularue
Cette destination touristique internationale est désormais prisée par les grosses fortunes. Un magnat de l’immobilier monégasque s’est fait construire une énorme villa à 4 millions d’euros. Le patron de Revolut, Nikolay Storonsky, entend faire mieux encore avec une maison deux fois plus grande. Gisele Bündchen y était en vacances cet été et on a vu, au fil des ans, défiler des stars, comme Sophie Marceau, Isabelle Huppert, Karin Viard et Thierry Ardisson, attirées par le caractère unique de l’endroit et une rumeur « cocorico ». Car si les kitesurfeurs brésiliens sont les premiers à avoir découvert ce petit village de pêcheurs, au début des années 1980, les Français ont activement participé à son développement.
Notamment Delphine Estevenet, arrivée en goguette il y a vingt ans. « Je devais y passer quatre jours, je suis restée un mois. Pendant trois ans, je n’ai cessé de faire des allers-retours avec la France… avant de m’installer ici et d’ouvrir une petite pousada [un hôtel]. À l’époque, Jeri était très différent. Mon plus proche voisin était un réparateur de buggys qui élevait aussi des poules, des cochons et des chevaux. C’était un environnement très brut. Mais j’étais heureuse et mes clients aussi : on leur faisait vivre des expériences simples qui les séduisaient, comme des balades à cheval au lever de lune ou au coucher de soleil, des pique-niques dans les dunes… L’essence même de l’esprit de Jeri. »
Franck Yaffi et Delphine Estevenet (devant) avec leur fils, Eli, 7 ans, dans leur Villa Paz, qu’ils mettent en location une partie de l’année. L’ensemble compte une maison principale, deux bungalows et deux chalets, installés autour d’une piscine. © Guillaume Soularue
Bientôt, le bouche-à-oreille fait son œuvre : une vague française va déferler sur Jericoacoara. « Thalassa » vient réaliser un reportage et son impact est immédiat. « Il y a eu un avant et un après la diffusion de ce sujet », disent tous les expats de Jeri. Dans la foulée, des compatriotes viennent découvrir le lieu, et réservent pour l’année suivante. Certains vont jusqu’à tout quitter pour s’installer là ou dans les petits villages alentour, à Tatajuba ou à Guriu, sur la côte de ce Nordeste brésilien encore vierge. Comme Alexandra Romano (Casa Santa Maria), ancienne patronne à Paris d’une boîte de communication : « Même si tout n’est pas toujours rose et parfois plus “compliqué” qu’en France sur le plan pratique, quand je suis sur mon cheval au milieu des dunes, je sais que je ne regrette rien de mon choix. »
NIGHTLIFE. Julien Duval, fondateur du mythique Café Jeri, lors de la soirée d’ouverture d’Origem, un clubrestaurant les pieds dans le sable © Guillaume Soularue
Même enthousiasme pour Laura Benady (Casa Uca), parvenue à se mettre dans la poche tout le village d’abord rétif devant cette petite Parisienne entreprenante. « Quand je suis venue la première fois, il y a dix-neuf ans, j’ai compris qu’il allait se passer quelque chose ici. J’ai d’abord loué un endroit pour ouvrir un modeste beach club mais les locaux se disaient : “C’est qui cette fille ? On ne veut pas d’étrangers chez nous !” Ils avaient peur. On me conseillait de prendre des avocats, mais, à la place, je suis allée devant chaque maison de pêcheurs. Je les ai persuadés de me laisser essayer, et que mon coup de cœur pour cet endroit était sincère. »
« Ce qui attire les gens, c’est l’absence d’empreinte de la civilisation moderne »
Franck Yaffi, lui, est tombé amoureux deux fois en même temps : de Jeri et de Delphine. Partenaires dans la vie comme dans les affaires (ils possèdent plusieurs hotels et maisons à louer : la Villa group), ils sont les premiers témoins de la transformation du village à la fin des années 2000. « Ce qui attire les gens, c’est l’absence d’empreinte de la civilisation moderne », reconnaît le Français. Il n’y a pas de feux de circulation, pas de lampadaires ni de panneaux publicitaires. Beaucoup venaient pour le kitesurf car le spot, avec un vent constant et une côte sauvage, est vraiment rare. Puis on a vu arriver de plus en plus de touristes dans l’État du Ceara. La clientèle était déjà européenne, avec des Italiens et pas mal de bobos parisiens…
Hervé Witmeur, chef cuisinier belge, et sa brigade dans le tout premier restaurant gastronomique de Jeri, Ello. Il mêle pêche du jour et produits de sa ferme © Guillaume Soularue
Dès lors, les premiers vacanciers « à la cool » sont remplacés par d’autres, plus fortunés, qui souhaitent eux aussi posséder leur petit coin de paradis. Franck et Delphine servent d’intermédiaires, se muent en architectes et décorateurs d’intérieur pour les arrivants. Et se confrontent aux défis que pose la transformation du village en destination prisée. Delphine se souvient : « Jeri commençait à souffrir de difficultés typiques des zones touristiques en développement rapide : gestion des déchets, utilisation excessive de l’eau… Mais pour nous, les expatriés, il était hors de question que le village devienne un petit Dubaï ! »
Ambiance familiale dans les rues sablonneuses. Les maisons comptent au grand maximum deux étages. © Guillaume Soularue
Alors le couple décide d’agir. « Nous avons commencé par organiser des opérations de nettoyage. Nous allions ramasser les poubelles dans les rues. La première fois, nous avons retiré 82 tonnes ! » Ils créent ensuite une association d’entrepreneurs, se rapprochent du maire local et lui font prendre conscience de l’intérêt pour tous de freiner un développement anarchique. « Nous avons mis en place un système de recyclage, acheté des équipements et même rédigé une loi locale pour obliger les gens à se responsabiliser pour gérer leurs déchets. » Ces initiatives vont contribuer à préserver l’environnement, mais aussi à renforcer l’attrait de Jeri comme destination écoresponsable… Même s’il faut prendre l’avion pour y arriver.
Une petite jungle amazonienne et, surtout, des kilomètres de plages désertes
La magie qui attire ici les touristes du monde entier ne se limite pas au village – son sable fin, son ambiance si chaleureuse. Ni aux couchers de soleil spectaculaires, séduisant chaque soir une foule de spectateurs qui applaudissent lorsque l’astre disparaît à l’horizon. Les environs aussi sont uniques : des dunes sublimes au milieu desquelles se forment, à la saison des pluies, des poches d’eau. À lui seul, le parc national Lençois Maranhenses compte plus de 6 000 lagons ! Plus au sud, on trouve également le delta de Parnaiba, une petite jungle amazonienne et, surtout, des kilomètres de plages désertes. À tel point qu’on circule davantage en buggy sur le sable que sur les routes… Sans risquer de renverser personne !
Sur la plage principale, une barque de pêcheurs et des corps sculptés, à la brésilienne : le village a deux salles de spor © Guillaume Soularue
Avec un million de visiteurs par an, l’avenir de Jericoacoara préoccupe ses 3 000 habitants, en particulier la communauté française. Ibiza, Tulum, Goa : la liste est longue des endroits merveilleux de la planète qui suffoquent sous les assauts du surtourisme. À l’ère des réseaux sociaux, les lieux « secrets » sont dévoilés en temps réel à des millions d’Instagrammeurs. Et on passe du rêve au cauchemar en quelques semaines… Heureusement, Jericoacoara possède des remparts naturels ! Pas infranchissables, mais qui en limitent l’accès : ses dunes. Il n’y a ainsi aucun distributeur de billets ici, les fourgons de transport d’argent n’étant pas vraiment faits pour circuler dans le sable… Et il n’y aura jamais de route bitumée pour arriver à destination.
Les places au paradis sont devenues chères. Les meilleures villas se louent désormais 20 000 euros la semaine
Une décision récente pourrait avoir un impact significatif : la mise en concession du parc national dans lequel se trouve Jeri. Franck Yaffi y voit une opportunité : « Le fait que Jeri soit enclavé dans un parc national limite son expansion. C’est un village de 1 kilomètre sur 1 kilomètre et il le restera. Nous sommes aussi situés dans une zone protégée qui s’étend sur 1 kilomètre dans l’océan. Il n’y a pas de Jet-Ski en bord de plage ni même de marina, en raison des trop grandes variations de marées. Il n’y aura jamais de bateaux de croisière qui viendront accoster là. »
Chaque matin, cavalcade avec vue sur la lagune de Tatajuba, remplie d’eau de pluie, pour Alexandra Romano © Guillaume Soularue
Les places au paradis sont devenues chères. Les meilleures villas se louent désormais 20 000 euros la semaine. Sans rien perdre de son charme, Jeri est monté en gamme. Ce dont témoigne Hervé Witmeur, un Belge qui a ouvert Ello, un restaurant promis à une belle étoile : « Même si le guide Michelin sort rarement de Rio ou de Sao Paulo… sourit-il. Nous n’avions pas nécessairement l’ambition de lancer un restaurant gastronomique. C’est la demande de notre clientèle, de plus en plus internationale et aisée, qui nous a poussés dans cette direction. Comme à proposer un menu en neuf étapes pour faire découvrir la richesse de la cuisine brésilienne. » Mais, qu’on se rassure, on trouve encore ici quelques pousadas bon marché, des bars où la caïpirinha se négocie au prix d’un café parisien, et où des multimilliardaires en tongs font mine de croire qu’on ne les reconnaît pas. À vrai dire, tout le monde s’en moque : à Jeri, on ne peut rien acheter d’exorbitant. À part quelques villas… qui n’existent pas encore tout à fait.
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